Quel héritage des communardes en 2019 ?

Barricade sous la Commune, place Blanche, par Arnaud Durbec, 1871, Musée Carnavalet.

Si la lutte pour le droit de vote a pris autant d’ampleur à la fin du XIXe siècle, elle a sans doute masqué bon nombre de revendications des communardes et de leurs actions plus ou moins spectaculaires. Mais, surtout, elle était portée par des femmes de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie, bien instruites et au fait des évènements outre-Manche ou outre-Atlantique, que leurs consœurs organisaient, souvent réprimées avec force. Les communardes, quant à elles, appartenaient à toutes les catégories de la population, mais surtout à celle des femmes du peuple exerçant les petits métiers du textile, – fileuse, couturière, boutonnière, etc. –, ou ceux de la préparation et de la vente alimentaire – les métiers de bouche, laitière, chocolatière, etc. –, même si certaines d’entre elles, comme Louise Michel (1830-1905), étaient institutrices, ou d’autres, comme Élisabeth Dmitrieff (1851-1910), faisaient partie des catégories sociales bourgeoises, notamment l’aristocratie émigrée. Selon Louise Michel, elles furent plus de 10 000 à combattre, issues des faubourgs ouvriers. Parmi les déférées au conseil de guerre, on compta 756 ouvrières, 70 commerçantes, 4 institutrices.

CITOYENNES SANS CITOYENNETÉ

Pourtant, en France, auteur d’un livre en 1869, Les Droits de la femme, Léon Richer (1824-1911) avait fondé la même année la revue Les Droits des femmes, puis, en 1870, l’Association pour le droit des femmes. Au même moment, Maria Deraismes (1828-1894), André Léo (de son vrai nom Victoire Léodile Béra, 1824-1900) et Louise Michel s’étaient regroupées au sein d’une Société pour la revendication des droits civils des femmes. L’intitulé de cette société indique clairement que les droits civils sont bien plus larges que le seul droit de vote dont les suffragistes, sous la houlette d’Hubertine Auclert, feront leur axe principal de revendication. Pour les communardes, l’accès à l’éducation des filles, la dénonciation de l’exploitation du travail des femmes avec un salaire équivalant à peine à la moitié de celui des hommes, l’éradication de la prostitution – phénomène qui se développe avec la misère économique –, les moyens pour maîtriser sa fécondité afin de ne plus mourir en avortant et réduire le nombre de ses enfants sont les priorités qui émergent sur les barricades ou dans les assemblées1.

Après un court intermède de quatre années, 1793 signe l’exclusion des femmes du politique : la guillotine pour Olympe de Gouges, la fermeture des clubs féminins. Citoyennes sans citoyenneté, les femmes se sont trouvées mineures à vie en 1804 au regard du Code civil, et ce jusqu’en 1965. Alors, en 1871, le choix de la visibilité de la violence politique constitue une condition de son efficacité, et c’est pourquoi la représentation imagée fera des communardes des pétroleuses, prolongeant ainsi la figure des sorcières et la symbolique du feu. Comme toute personne participant à un mouvement social revendicatif se voit aujourd’hui qualifiée de violente dès lors que des vitrines sont brisées ou des poubelles enflammées.

LA LUTTE CONTRE LA PROSTITUTION

À l’heure de Pékin + 25, c’est-à-dire vingt-cinq ans après la IVe Conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue sous l’égide de l’ONU en 1995, réunie pour la lutte pour l’égalité, le développement et la paix, les pro-prostitution et les pro-life se mobilisent. La Commune de Paris est particulièrement sensible au problème de la prostitution. Les élus du XIe arrondissement feront fermer les maisons de tolérance dans cet arrondissement de Paris dès mai 1871. Il s’agissait de supprimer le trafic odieux de l’exploitation commerciale des femmes par des marchands sans scrupules profitant de la misère ouvrière. L’inscription des femmes prostituées et l’obligation qui leur était faite de se soumettre à une surveillance médicale furent abolies. La parenthèse communarde refermée, l’État revient avec soulagement à la case départ : les maisons closes sont rouvertes, avec la réglementation antérieure.

En Allemagne, aux Pays-Bas, sur la frontière espagnole… les Eros Centers et maisons d’abattage existent toujours, de même qu’aux abords des foyers de guerre même pour les armées de paix. Abolition 2012, qui a permis de regrouper de nombreuses associations féministes et d’obtenir la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, est régulièrement vilipendé par le Strass (Syndicat des travailleurs du sexe) et des organisations comme Médecins du monde, Aides, Act Up-Paris et une partie du Planning familial. Entre 1871 et 2016, il a fallu 145 années pour rétablir ce que les communard·e·s avaient instauré dans un arrondissement de Paris.

DES REVENDICATIONS TOUJOURS D’ACTUALITÉ

Nous pouvons prendre un autre exemple, celui des droits sexuels et reproductifs, cache-sexe international pour évoquer le droit à l’avortement et à la contraception. Il aura fallu attendre 1975 pour que soit promulguée la loi autorisant sous certaines conditions la pratique de l’avortement, après un mouvement illégal très important mené par le MLAC, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, qui organisait des avortements dans les hôpitaux sous l’œil des caméras de la presse. Mais qui se souvient des femmes qui mouraient après des pratiques abortives dignes de la boucherie ? Qui se souvient du mouvement néo-malthusien qui se développa aux lendemains de la Commune ?

Et le pantalon de Madeleine Pelletier (1874-1939), première femme psychiatre en France, a fait couler beaucoup d’encre ! Mais déjà, sous la Commune, des femmes ont osé porter le pantalon, parce que plus pratique, en s’affranchissant de ce qui était considéré comme des bonnes mœurs, c’est-à-dire robe et corset. En février 2013, les Parisiennes ont enfin le droit de porter un pantalon même si elles ne tiennent pas un « guidon de bicyclette » ou « les rênes d’un cheval » ; l’interdiction, datant de 1800, n’avait plus aucune valeur juridique. Et pourtant combien de fillettes se sont vu interdire le pantalon à l’école dès lors que le thermomètre n’était pas descendu sous les 5°, et ce au moins jusqu’en 1968 !

Les femmes de la Commune réclamaient également du pain et des salaires égaux à ceux des hommes. Le 18 mai, les institutrices obtiendront le même salaire que les instituteurs. Puis les lois passèrent prônant l’égalité, mais le quart en moins resta au détriment des femmes : – 25 % pour les salaires, – 40 % pour les retraites. Les syndicats actuels, les coordinations ou les Gilets jaunes n’obtiennent toujours pas une vraie égalité tant pour les salaires que pour les carrières.

Alors si le mouvement féministe ne se saisit pas de ce que les communardes ont pu imposer et revendiquer, il n’en reste pas moins qu’à Paris les Voix rebelles, chorale de femmes, viennent titiller nos mémoires par des chansons en l’honneur de certaines communardes, comme Louise Michel, bien sûr, mais aussi Nathalie Lemel (1826-1921) ou André Léo, sur des musiques faisant partie de notre héritage révolutionnaire.

HÉLÈNE HERNANDEZ

Émission Femmes libres sur Radio libertaire, 89.4.

1. Voir sur ce point précis : Hervé Le Bras, Marianne et les lapins – L’obsession démographique. Hachette Pluriel, 1991, et François Ronsin, La Grève des ventres – Propagande néo-malthusienne et baisse de la natalité en France XIXe-XXe siècles, Aubier, 1880.

Références bibliographiques :
• Sylvie Brabant, Élisabeth Dmitrieff, aristocrate et pétroleuse, Belfond, 1993.
• Hélène Hernandez, Celles de 14 – La situation des femmes au temps de la grande boucherie, Les Éditions libertaires, 2015.
• Édith Thomas, Les «  Pétroleuses  », Gallimard, 1963. Réédition par les éditions L’Amourier en octobre 2019.
• Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Seuil, 2010.
• Rachel Silvera, Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, La Découverte, 2014.