Louise Michel Mémoires 1886
LOUISE MICHEL, MÉMOIRES 1886, FOLIO HISTOIRE.
Que de souvenirs…
« Mon existence se compose de deux parties bien distinctes : elles forment un contraste complet ; la première, toute de songe et d’étude ; la seconde, toute d’évènements, comme si les aspirations de la période de calme avaient pris vie dans la période de lutte. »
En termes de luttes, d’évènements, de songes et d’études, la vie de Louise Michel, toujours une icône de la Commune en ces temps de commémoration, en est plus que nourrie. Nous connaissons tous son engagement politique, ses écrits sur l’insurrection sont célébrissimes, mais, pour comprendre le sens de l’engagement d’une personne dans l’action publique, il est souvent nécessaire de revenir aux sources. « Comme la graine contient l’arbre, toute vie, à son début, contient ce que sera l’être, ce qu’il deviendra malgré tout. » Claude Rétat, directrice de recherches au CNRS, nous propose le texte de ses Mémoires de 1886 tel qu’il a été négocié par Louise Michel auprès de son éditeur. Difficile dans ces années 1880 de publier un document aussi fort et engagé. Elle devra défendre son style, garder sa pudeur pour mieux préserver la mémoire de ses camarades de combat.
Le nid de mon enfance
Qui est Louise Michel ? Du « nid de [son] enfance », elle garde des souvenirs de douceur, de tendresse, une éducation teintée des auteurs des Lumières, au contact avec la nature et le monde paysan. Certaines pages dénoncent déjà l’injustice subie par les pauvres, d’autres s’insurgent contre les tortures envers les animaux. « Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. » Elle gardera toute sa vie cet engagement à Paris, en Nouvelle-Calédonie. « La bête détruit pour vivre, le chasseur détruit pour détruire. » Cette première partie du livre relève quasiment d’un travail d’ethnologue, la vie à la campagne, le vocabulaire du patois de Haute-Marne.
Toujours cette passion pour découvrir, pour la science, pour les hommes et les femmes, les humbles. Les pages consacrées à la Nouvelle-Calédonie, aux Kanaks, à la faune, à la flore montrent une femme ouverte sur le monde avec toujours son idéal de justice. Là où certains communards firent cause commune avec les colonisateurs, Louise soutient le peuple kanak et se rapproche aussi des Kabyles déportés. La pédagogie, enseigner pour faire comprendre et donner les outils pour changer le monde, la guide toute sa vie. Elle rappelle ses difficultés d’institutrice en butte à l’Empire autoritaire et à ses affidés, tant en Haute-Marne qu’à Montmartre.
Il faut aller de l’avant !
Certes, le style de Louise est enflammé, n’attendez pas de la fadeur. Elle est vouée à la Révolution ! Mais quelle actualité dans ses propos ! Les passages consacrés aux rapports entre les femmes et les hommes font écho aujourd’hui : « Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine. » Les inégalités salariales, l’éducation au rabais pour les filles, la porte ouverte à la prostitution. Les dialogues mâtinés d’argot entre les « filles » de Saint-Lazare explicitent plus clairement encore la spirale de la souffrance et des inégalités. Un langage cru sur une réalité sordide. « Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire. » Les appels à la mobilisation des femmes pendant la Commune pour acquérir les droits économiques et sociaux sont contenus dans cette phrase.
Ces Mémoires constituent une synthèse des facettes de Louise Michel. Ils constituent des portes d’entrée vers ses autres livres remis au goût du jour par Claude Rétat, les contes hauts-marnais, ceux de Nouvelle-Calédonie, les poèmes, les romans comme La Chasse aux loups et tous ses articles, ses discours.
Évidemment la Commune est au cœur du livre, sa relation du 18 mars reste mémorable. Le débat politique est lancé dans les clubs et les comités de vigilance, il faut créer. Dans la même lignée que Michel Bakounine, elle affirme : « En révolution, l’époque qui copie est perdue, il faut aller de l’avant. »
Révolution !
De retour de déportation, elle mène le combat contre toutes les injustices, en France, dans le monde, et surtout c’est à ce moment qu’elle dénonce le pouvoir et se définit comme anarchiste. Elle reprend le manifeste des anarchistes lu lors du procès de Lyon de 1883 : « Les anarchistes, messieurs, sont des citoyens qui, dans un siècle où l’on prêche partout la liberté des opinions, ont cru de leur droit et de leur devoir de se recommander de la liberté illimitée. […] Pas de liberté sans égalité […] Nous réclamons le pain pour tous, la science pour tous, le travail pour tous ; pour tous aussi l’indépendance et la justice ! » À relire ! Certains passages sont d’une totale actualité.
Le lecteur retrouvera ses interrogatoires devant ses instructeurs et ses juges, mais qui peut prétendre juger Louise Michel ? Sans oublier les poèmes que lui consacrent Hugo et Verlaine.
Elle porte l’espoir : « Combien d’indignés seront avec nous, jeunes gens, quand les bannières rouges et noires flotteront au vent de colère ! »
Souvent les lecteurs sont déstabilisés par l’écriture de Louise Michel. Elle donne le sentiment de passer d’un sujet à un autre sans logique. En fait, elle s’exprime comme lors d’une de ces veillées de Haute-Marne où un thème en appelle un autre, les souvenirs, les souffrances, les regrets, les espoirs, les morts, sa mère, son amie Marie Ferré et le mot avec lequel elle clôt ses Mémoires pour mieux ouvrir l’avenir, « Révolution ! »
Francis Pian
Louise Michel, Mémoires – 1886, Éd. Gallimard, collection « Folio histoire », inédit, 2021.
Louise Michel
Mémoires – 1886
Collection Folio histoire
Editions Gallimard
576 pages
Formats numériques disponibles ePub et PDF 9,49 €
Livre : 9,70 €