Ils nous bassinent sérieusement
Des bassines pour alimenter quelques fermes industrielles, comme les retenues pour neige artificielle et bobos skieurs ou les futurs prélèvements monstrueux pour carrières de lithium et smartphones hypnotiques, sont bien des accaparements privés d’une eau vitale pour tous. La lutte commune pour la survie contre des prédateurs ne peut s’encombrer de salamalecs pseudo-républicains.
« Il n’y a rien à essayer de comprendre quand la violence est un mode d’action », dixit Marc Fesneau dans un tweet faisant allusion aux affrontements entre manifestants et forces de répression autour d’une mégabassine dans les Deux-Sèvres. Sans jamais dénoncer la violence du vol d’eau par des intérêts privés au détriment des besoins de la collectivité, violence inhérente aux modes d’action des pouvoirs administratif et capitaliste. Logique puisque ce prélèvement d’eau publique est autorisé par sa légion administrative, donc par Marc Fesneau himself, tête d’œuf sortie de SciencePo, bayrouiste aussi utile au ministère de l’Agriculture que son mentor l’est au Plan nébuleux d’un avenir incertain.
De l’appellation « projets d’intérêt général », ils ne retiennent que les deux premiers mots, « général » se réduisant le plus souvent à des groupes d’intérêts privés. C’est aussi le mode de pensée du syndicat patronal de la FNSEA, dont les adhérents sont les seuls bénéficiaires de cette eau destinée à des cultures industrielles, essentiellement du maïs destiné à des élevages non moins intensifs quand ce n’est pas pour l’exportation. Avant même d’être accaparées, ces précieuses eaux souterraines, de quantités de plus en plus réduites, sont déjà polluées par ces mêmes exploitants et dilapideurs de ressources (irrigation en pleines journées caniculaires). Une sorte d’économie circulaire. Quant aux autres utilisateurs, ils n’ont qu’à aller jouer les sourciers ailleurs ou acheter de l’eau en bouteille plastique au prix du caviar.
Car le problème, la citadelle à abattre, est bien le droit de propriété. L’eau est un bien vital pour tout le vivant, au même titre que l’air et l’oxygène qu’il contient. Et pourtant, cette eau peut être privatisée. Les profits tirés par les multinationales de l’alimentaire en puisant ces eaux souterraines pour les revendre en produits de luxe, sans même assumer les coûts de la pollution des contenants plastique dont ils inondent la planète, en sont le plus scandaleux exemple. Même l’eau du robinet est encore trop souvent aux mains (sales) de quelques géants industriels. Ce qui signifie que la plus grande partie de leurs bénéfices vont dans les bourses de leurs actionnaires et dirigeants, au détriment d’investissements d’intérêt général pour gérer la ressource. Sur factures dûment libellées et sommations d’usage, ces derniers vous demandent de cracher au bassinet si vous voulez survivre au milieu du désert qu’ils créent.
Le droit de propriété donne le droit exorbitant au·x propriétaire·s d’une terre de puiser tout son soûl, autrement dit jusqu’à plus soif, dans la nappe phréatique sous ses pieds, pour peu que cette eau ne sorte pas en source et ruisseau dans les limites de son terrain (article 552 du Code civil). Sinon l’eau du ruisseau devient chose commune. Une disposition ancienne, prise en des temps où on la pensait inépuisable et devenue inique lorsque cette ressource est désormais identifiée comme rare, vitale et commune, commune dans le sens appartenant à tous les vivants et devant, à ce titre, être partagée équitablement. Les réserves d’eau douce, particulièrement les eaux profondes et fossiles, ne peuvent être que chose commune, dont l’utilisation parcimonieuse doit être gérée collectivement, au bénéfice de la vie et des milieux naturels. Elle ne peut relever de l’usage privé, dispendieux et incontrôlé d’une industrie agro-alimentaire mortifère ou d’autres utilisations au bénéfice d’actionnaires ou des classes dominantes (neige artificielle, golfs…). Elle peut être admise lorsque la rétention d’eau de pluie est à l’échelle d’une famille, d’un potager, d’un bassin de baignade pour les enfants, d’une mare ou d’une utilisation plus écologique : toilettes, lave-linge… et relève donc d’une simple économie domestique et non de super-profits.
L’eau, c’est la vie. C’est pourquoi les astronomes recherchent avant tout ses traces dans l’univers pour identifier des signes de vie, même primitive, sur quelque planète lointaine. Sur Terre, elle est la condition essentielle de survie de notre monde, encore vivant celui-là, et non hypothétique dans une lunette astronomique. Les peuples sont donc légitimes, à construire des zad, à se battre contre ceux qui spolient le minimum vital de la grande majorité. Comme le déplorait sur Francetvinfo Benoît Jaunet1, co-porte parole de la Confédération paysanne, quand les représentatifs, partis, syndicats, organisations citoyennes s’opposant à ce pillage ne sont pas écoutés et que des décisions joliment emballées dans une apparente légalité légitime ces pillages, la population prend le relais de la révolte. Il rappelle également dans Ouest-France que « 95 % des paysans en Deux-Sèvres n’ont pas accès à l’eau et produisent quand même. C’est ce modèle qu’il faut partager. » Les réponses aux violences des dominations administratives et capitalistes passeront obligatoirement par des mobilisations pacifiques et réellement démocratiques pour concevoir des solutions partagées et équitables au problème de la ressource en eau. Mais dans l’urgence, face à ces violences dominatrices, avant que les ressources d’eau profonde soient vidées par ces bandits de grands chemins, il est légitime de brandir les fourches, ce sont les Soulèvements de la terre.
Yves Guillerault
Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active.
Ce billet est paru sur le blog d’Yves Guillerault hébergé sur Médiapart et reproduit avec sa chaleureuse autorisation.
Image d’illustration tirée du dossier de presse de Bassines Non merci pour le rassemblement de Sainte-Soline.