Fausse Commune, un projet théâtral de la Compagnie Espère un peu
FVLC : Comment vous êtes-vous situées, dans le travail d’écriture, par rapport à l’actualité des thèmes de la Commune ?
P. L.-L. : L’actualité de la Commune, c’est quelque chose que nous avions en tête au tout début du travail – notamment la question du lien entre violence et politique. Nous étions d’ailleurs, en novembre 2018, au début du mouvement des Gilets jaunes. Puis, par le biais de nos lectures – je pense par exemple au livre de Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, qui explore l’inconscient politique de cet événement –, cette intuition n’a cessé de se renforcer.
Nous avons continué à mesurer à quel point cet événement était actuel, et plus proche par bien des aspects que des événements plus récents comme Mai 68, par exemple, qui est pourtant un incontournable de certaines histoires de famille (la mienne, à tout le moins !).
Citons quelques exemples pêle-mêle : la place du précariat dans la ville, qui explose pendant le second Empire et sa révolution industrielle, et qu’on retrouve aujourd’hui sous la forme de ces chauffeurs-livreurs qui travaillent « à la tâche », sans contrat durable et sans protection sociale ; la gentrification des quartiers parisiens, bien sûr ; la visibilité des inégalités dans l’espace urbain, c’est-à-dire l’alternance entre des quartiers très pauvres et des vitrines du luxe – le Bon Marché en 1869, et le Marais aujourd’hui…
Il y a également le rapport à la pratique démocratique, qui est redevenu un sujet de conflit, comme en attestent des manifestations comme Nuit debout, Occupy Wall Street ou les Gilets jaunes, qui posent la question d’une démocratie plus directe, voire plus « sauvage », et de modalités différentes pour choisir (et révoquer) nos élues et nos élus…
Il y a, bien sûr, le thème de la commune, au sens de l’échelle communale comme entité de gouvernance, et la question des « communs »… La question du revenu universel, de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la place des femmes dans l’espace public… Tous ces thèmes sont brûlants aujourd’hui ; toutes ces interrogations qui ont traversé la Commune, toutes ces contradictions aussi (qui faisaient coexister des personnes favorables à la propriété privée pour tous, et d’autres opposées à la notion même de propriété privée), on les retrouve dans la France contemporaine.
Ce qui est intéressant pour nous également, c’est que le théâtre (au sens de la pratique ou de l’institution) est bien le miroir du monde ; c’est-à-dire que les questions posées en 1871 et en 2021 existent en miroir dans notre métier : comment s’éloigner du regard « vertical » du metteur en scène ? Faut-il favoriser la création collective ? Qu’est-ce qu’un théâtre démocratique ou écologiste ? Quel rôle joue le théâtre dans notre écosystème sociétal ?
Je repense souvent à un entretien dans lequel le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier décrivait l’expérience catastrophique qu’a été, pour lui, l’expérience de l’autogestion à la Schaubühne. Lorsque la démocratie directe « patine », faut-il mettre en place le Comité de salut public ? Pour aboutir à une création ou gérer un théâtre ou une ville, faut-il laisser la place à toutes les voix ? Faut-il à un moment faire acte d’autorité ? C’est une question qui me semble à la fois insoluble et passionnante.