Fausse Commune, un projet théâtral de la Compagnie Espère un peu
FVLC : C’est l’économie de moyens qui laisse la place à l’imagination ?
P. L.-L. : C’est un vrai sujet, surtout lorsqu’on essaie de représenter un événement aussi monumental dans son échelle que la Commune de Paris ! Les guerres, les révolutions sont des événements dont la représentation pourrait mobiliser des centaines de personnes… Que fait-on quand on ne dispose pas des moyens d’une superproduction hollywoodienne ?
La réponse, comme le dit Giono, se situe en partie dans l’écriture – je le cite de mémoire lorsque, interrogé sur ses velléités de réalisation cinématographique, il répond : « Je comprends l’attrait qu’il y a à diriger des milliers de figurants, depuis un fauteuil, pour donner vie aux armées de Jules César ; mais moi, je n’ai qu’à prendre mon stylo et les armées de Jules César se mettent en marche. »
Mais il faut aussi trouver une réponse scénique à cette question. Comment représenter, à l’échelle du théâtre, un événement qui se passe à l’échelle d’une ville et dans lequel la confrontation militaire occupe une place centrale ?
Pensons aux barricades, à la destruction de la colonne Vendôme, au bruit incessant des canons qui caractérisaient le printemps 1871… Pour réfléchir à cela, nous avons, bien sûr, puisé dans l’histoire et l’actualité du théâtre et identifié de nombreux outils : il y a par exemple le « spectacle total », tel que le pratique Ariane Mnouchkine, et qui rejoint notre désir de théâtre déambulatoire et immersif ; mais aussi le théâtre d’objet – je pense à la compagnie Les Maladroits qui raconte, dans son spectacle Frères, la guerre d’Espagne grâce aux ressources d’une cuisine (carrés de sucre, farine, cafetière, etc.) ; ou encore l’expression corporelle et la musique.
C’est très enrichissant pour nous de travailler avec ces différents outils : les objets, le mobilier, les corps… pour trouver la juste façon de raconter une ville qui se soulève, et qu’on écrase.
FVLC : Il y a aussi l’interpellation du public…
P. L.-L : L’interpellation du public et l’absence de frontière salle-scène faisaient partie, dès le début, du cœur du projet. Il ne s’agissait pas pour nous de créer un décor total, comme dans certains spectacles dits « immersifs », mais de rendre compte d’une expérience qui est avant tout collective et au sein de laquelle l’individu s’interroge.
On pourrait plutôt parler de théâtre déambulatoire : comédiens et spectateurs circulent ensemble dans un même espace et, sans qu’on attende nécessairement des seconds une forme de participation, ils jouent cependant toujours un rôle qui les situe dans un statut actif : jurés d’une cour d’assises, témoins d’une réunion, etc.
Ce qui était intuitif au départ s’est vite révélé évident. À commencer, justement, par ce souhait de ne pas raconter la Commune, mais de traverser ensemble une représentation de ce qu’a pu être ce printemps insurrectionnel. La déambulation place immédiatement le spectateur dans le rôle du témoin, complexe et ambigu.
Si je prends l’exemple très concret des procès, à partir du moment où l’on comprend, dès la première réplique, qu’il y a un juge et un accusé, on sait tout de suite, en tant que spectateur ou spectatrice, quel est notre rôle. On comprend qu’on va essayer de nous convaincre, qu’on va devoir mettre notre esprit critique en alerte, qu’on va devoir juger entre différentes représentations de la réalité…
On est immédiatement pris dans un nœud interindividuel : faut-il croire ceux qui parlent ? Faut-il les suivre ? Est-ce qu’être à côté de quelqu’un, c’est être dans son camp ? Est-ce qu’on peut changer de camp, se rapprocher du personnage qui nous convainc le plus ? Ces relations de conviction, de jugement, d’esprit critique, et d’intimité aussi nous passionnent.