Fausse Commune, un projet théâtral de la Compagnie Espère un peu
La deuxième phase a consisté à déconstruire ce cadre. Après un nouveau temps de recherche et de décantation, et la fréquentation de nouvelles inspirations – comme la mise en scène de 1789 par Ariane Mnouchkine, pour ne citer qu’un exemple –, nous avons eu le désir de nous libérer de la notion d’intrigue (avec ses personnages qu’on suit) et d’assumer quelque chose qui serait plus proche d’une succession d’éclats témoignant à la fois des événements de la Commune et de ce qu’il en reste aujourd’hui.
Il s’agissait d’abord d’exprimer un désir, qui existait dès le début, de jouer avec la temporalité, d’oser les anachronismes et de faire briller les reflets d’une actualité 2021 si proche parfois des événements de 1871… De se dire : les comédiennes et les comédiens sont des gens qui vivent au XXIe siècle. Qu’ont-ils à dire sur ce qu’ils sont en train de raconter et sur ce qui s’est passé il y a cent cinquante ans ? Quel est leur rapport personnel, intime mais aussi politique, avec ces personnages que nous avons créés ?
Il s’agissait aussi de prendre nos distances avec l’histoire, pour rendre possible un ton libre, humoristique, qui nous était cher depuis le début, pour deux raisons. La première, c’est qu’il a marqué notre génération. Je pense à une référence qui peut paraître particulièrement triviale : Papy fait de la résistance, un film grand-guignolesque sur un sujet qui pourrait « mériter mieux », une farce qui désacralise complètement l’image du résistant français.
Mais l’humour permet aussi d’accéder à l’horreur ! Il y a par exemple cette réplique, prêtée au collaborationniste Adolfo Ramirez (Gérard Jugnot, en membre de la Gestapo), qui dit à Dominique Lavanant, en la voyant embrasser un général allemand : « Salope, tu seras tondue ! » – anachronisme total puisqu’on est en 1942. C’est à la fois drôle et affreux, et ces deux informations contradictoires sont traitées simultanément par notre cerveau, qui fait alors son travail critique, et le fait d’autant plus volontiers qu’il se « divertit » à le faire…
Et la deuxième raison pour laquelle l’humour était consubstantiel à ce projet, c’est que les personnalités qui ont marqué la Commune étaient certes fondamentalement empreintes d’une conscience historique – ce que l’historien Henri Lefebvre a très bien décrit dans La Proclamation de la Commune –, mais elles étaient aussi, pour beaucoup, dotées d’un formidable sens de l’humour. Je pense par exemple aux Cahiers rouges de Maxime Vuillaume, qui témoignent de l’univers satirique (et souvent potache) du Père Duchêne…
Cette deuxième phase d’écriture s’est conclue lors d’une résidence de création au Théâtre Paris Villette en décembre 2020, avec la conception d’une maquette de 30 minutes reflétant toutes ces intentions : l’incarnation de personnages historiques, les témoignages des interprètes, l’épreuve de l’humour et son entrelacement avec des retournements tragiques, le jeu du « décalage ».
C’est ce travail de synthèse qui nous a permis d’entrer dans la troisième et dernière phase d’écriture, qui va consister à resserrer le jeu entre toutes les pistes empruntées et à choisir la « note majeure » du spectacle, pour raconter efficacement cet événement hors normes avec la plus grande économie de moyens.