À travail égal, salaire égal ?

1966, , Herstal (Belgique), les ouvrières en grève de la Fabrique nationale réclament un salaire égal à celui des hommes.

Après la parution de Comme une rivière bleue et à propos de ce livre, j’ai participé à de nombreuses discussions, dans des librairies, des bibliothèques… sur le livre, mais aussi sur la Commune de Paris.
Une des nombreuses questions qui m’ont été posées portait sur les aspects « féministes » de la Commune, et notamment sur le slogan « À travail égal salaire égal ».
J’ai bien vu, au cours de ces discussions, que tel ou tel participant était mécontent lorsque je disais : non, je n’ai vu nulle part formulé le principe « à travail égal salaire égal » dans les procès-verbaux des réunions de la Commune.

Pour nous faire plaisir, à mes interlocuteurs et à moi, j’ai plusieurs fois lu la claire et nette déclaration d’Eugène Varlin, en 1867 :
« M. Varlin, relieur, croit que la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son travail. Il croit que ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit être rétribuée comme nous-mêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme : même produit, même salaire.
Par ce moyen, la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme, et son travail la fera libre ! »
Une déclaration d’Eugène Varlin, tout seul, en 1867 – et pas de « la Commune ». J’ai mentionné le cas des institutrices, d’ailleurs présent dans Comme une rivière bleue. J’ai essayé de parler de la néfaste et durable influence proudhonienne sur le mouvement ouvrier français.

Pour illustrer cette question, voici un de mes communards préférés, Albert Theisz. Ouvrier bronzier, membre de l’Association internationale des travailleurs, secrétaire de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et comme tel jugé et condamné au « troisième procès de l’Internationale » en juillet 1870, membre de la Commune (il a fait fonctionner la poste), évadé de Paris et proscrit à Londres, de retour à Paris après l’amnistie en juillet 1880, vite embauché au journal L’Intransigeant (de Rochefort) pour un article « Le mouvement social » hebdomadaire, encore plus vite mort d’anémie (janvier 1881).
Le 18 octobre 1880, son article porte sur une grève d’ouvrières à la parfumerie Piver, à Aubervilliers. C’est un bel article, dans lequel Albert Theisz se montre très sensible aux agressions (sexuelles) dont sont victimes les ouvrières (en ce temps-là et dans ce milieu-là, on subi(ssai)t en silence). Je ne le cite pas en entier (le journal est sur Gallica). Je me contente d’un extrait qui contient, en toutes lettres, la revendication « à travail égal salaire égal ». Mais… lisez tout le passage !

« […] Les ouvriers typographes dans un procès sous l’Empire déclaraient qu’ils interdisaient le travail aux femmes parce qu’ils préféraient les laisser aux soins du ménage plutôt que d’en être réduits par leur concurrence à vivre à leurs dépens.
Comme les typographes, nous préférerions la femme au foyer domestique plutôt qu’à l’atelier faisant concurrence à l’homme. Mais si nous ne pouvons obtenir gain de cause complètement, au moins nous sera-t-il permis de demander pour elle quelques considérations que sa nature exige. Au point de vue moral, un peu de respect, au point de vue matériel, pour un travail égal à celui de l’homme, salaire égal. […]

(C’est moi qui souligne, bien sûr.) Treize ans après le « Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre » de son ami Varlin…
Tout ça n’a pas empêché des femmes de participer à la Commune ! Voir l’article sur Les Pétroleuses.

MICHÈLE AUDIN