Charles Piaget – On fabrique, on vend, on se paie. Lip 1973
Charles Piaget : On fabrique, on vend, on se paie. Lip 1973. ÉDITIONS SYLLEPSE.
Avant-propos de Georges Ubbiali au livre de Charles Piaget : On fabrique, on vend, on se paie. Lip 1973.
Gamin, mon oncle Piaget me faisait sauter sur ses genoux lors des fêtes de famille. Puis, il a disparu de mon environnement immédiat pendant de longues années. J’étais encore enfant lors du conflit Lip en 1973. Charles était alors le leader incontesté de la section CFDT de l’entreprise. Il était un de ces milliers de militants syndicaux qui sont les organisateurs au quotidien de la classe travailleuse. C’est plus tard que j’ai eu l’occasion de retrouver Charles au long de mon parcours. Entre-temps, j’étais moi-même devenu adulte et engagé, aussi bien sur le plan politique que syndical ou associatif.
Aussi, quand Françoise, l’aînée de mes cousines Piaget, m’a demandé si je pouvais donner un coup de main à la mise en forme du texte qui suit, j’ai répondu avec enthousiasme. J’avais eu l’occasion de réaliser des interviews de Charles à différents moments pour des organes de presse militante. J’avais rédigé sa biographie pour le Maitron (le fameux Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier), tout en le fréquentant dans diverses activités militantes. C’est donc avec intérêt que j’ai donné un coup de main pour structurer le propos, suggérer des développements et précisions ou au contraire éliminer certains passages moins décisifs, puis passer aux travaux pratiques de la saisie des textes. Une chose est sûre, si le livre qu’on lira par la suite a connu des évolutions importantes, il est bien de la plume de Charles. Il en est l’auteur. En aucun cas, mon rôle n’a été celui de rewriting comme on le voit dans trop grand nombre de livres où un intellectuel (journaliste très souvent) prête la plume à un·e individu·e qui se borne à parler. Les feuilles manuscrites de Charles, dans leurs différentes formulations, sont là pour certifier qu’il est bien le réel auteur du texte.
Reste encore une chose à dire – mais j’ai probablement été moins surpris que certains lecteurs le seront, peut-être. En quelques pages, revenant sur son expérience d’il y a presque un demi-siècle, Charles nous livre une contribution sans doute bien plus importante que n’ont pu le faire bon nombre de livres académiques ou savants de philosophie ou sociologie politique sur la nécessaire révolution sociale à accomplir. Dans un style accessible au plus grand nombre, sans faire référence à des concepts charabiatesques dont se font une spécialité bon nombre de penseurs, Piaget démontre la radicale égalité de chacun·e dans le cadre d’une lutte collective, pour être des vecteurs et des vectrices de la transformation sociale et d’émancipation.
Loin de nier l’existence et l’utilité de formes organisées (les partis – il fut lui-même encarté au Parti socialiste unifié(PSU) – ou des syndicats – il était le leader incontesté de la CFDT de l’entreprise), il rappelle que si ces dernières peuvent proposer des initiatives, mettre à disposition des informations et des moyens d’élargir une lutte, la seule option possible pour envisager un succès social (et Lip 73 constitua une immense victoire sociale : zéro licenciement, puis loi d’indemnisation du chômage), c’est de faire confiance, s’appuyer sur la mobilisation la plus large du collectif. La fameuse autogestion (même si le terme ne figure pas dans le livre qu’on va lire) qu’on a accolée à la lutte des Lip réside là, dans la plus totale implication de tous et toutes, dans la volonté de mettre en œuvre la démocratie la plus large, dans l’implication et l’ouverture de la lutte. Certains ne l’ont pas compris à l’époque, et ne l’ont toujours pas admis aujourd’hui, imprégnés qu’ils sont d’un paternalisme et d’une méfiance instinctive à ce qui échappe contrôle du syndicat et du parti. Tout au contraire cette émancipation en acte, ces idéaux et perspectives étaient portés par Charles, ainsi que de nombreux acteurs et actrices de cette lutte.
Cela s’est traduit par le soutien et la mise en œuvre de l’auto-organisation des travailleur·euses dans la mobilisation, mais aussi par le développement d’une auto-activité ouvrière, encore plus radicale, par la remise en route, partielle certes, de l’outil de travail sous la direction immédiate de ceux et celles qui produisent. De là vient le fameux slogan éponyme de la lutte des Lip : « On fabrique, on vend, on se paie ». Ces pratiques, ces ambitions, ces valeurs ont été mises en acte durant les mois qu’a duré le conflit.
Elles sont les miennes également et je suis fier que mon tonton, à 90 ans allègrement passés, les évoque dans cette contribution dont la portée dépasse, et de loin, le conflit dans lequel elles se sont illustrées. Ainsi que l’écrivait Rosa Luxemburg dans son dernier article : « J’étais, je suis, je serai. »
Jojo (Georges) Ubbiali