La Canaille
ALEXIS BOUVIER
Alexis Bouvier naît en 1836, à Paris, dans une famille ouvrière. Ciseleur en bronze jusqu’en 1863, et autodidacte, il commence à écrire des petites nouvelles qui évoquent la rue et les ateliers ouvriers, à Paris. Il se fait connaître dès le milieu des années 1860 par des chansons et des opérettes populaires, dont La Canaille (écrite en 1865) est demeurée la plus connue. Ayant abandonné son métier de ciseleur, il subsiste grâce à une activité de limonadier qu’il exerce boulevard de Strasbourg. Il décède à son domicile, boulevard de Clichy, dans le 18e arrondissement, en mai 1892.
La version de Francesca Solleville dans l’album La Commune en chantant, Disc’AZ et ci-dessous la superbe version du collectif La Commune en chantant enregistrée en public en 2021. Retrouvez l’intégralité du concert du collectif sur notre page La Commune en chantant – le concert
La Canaille
Dans la vieille cité française
Existe une race de fer
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais ils n’ont qu’un taudis.
C’est la canaille, et bien j’en suis !
Ce n’est pas le pilier du bagne,
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau
Gagne en suant son morceau de pain.
C’est le père enfin qui travaille
Des jours et quelques fois des nuits.
C’est la canaille, et bien j’en suis !
C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui sans souffler rime rêveur,
Un sonnet à celle qu’il aime
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille
Qu’il loge et qu’il a des habits
C’est la canaille, et bien j’en suis !
C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer, à main nerveuse,
Qui sort d’on ne sait où,
Toujours avec esprit vous raille
Se riant de votre mépris.
C’est la canaille, et bien j’en suis !
C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans vos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris.
C’est la canaille, et bien j’en suis !
Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères les vieux vagabonds
Attaquant en 93 les bastilles
Dont les canons
Défendaient la muraille
Que d’étrangleurs ont dit depuis
C’est la canaille, et bien j’en suis !
Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux
Les autres martèlent l’enclume
Et se saoûlent pour être heureux,
Car la misère en sa tenaille
Fait saigner leurs flancs amaigris.
C’est la canaille, et bien j’en suis !
Enfin c’est une armée immense
Vêtue en haillons, en sabots
Mais qu’aujourd’hui la France
Appelle sous ses drapeaux
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
C’est la canaille, et bien j’en suis !